Thierry Leboucq

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Thierry Leboucq

Président fondateur de Greenspector - Secteur Logiciels et services informatiques

Entretien avec Thierry Leboucq, président fondateur de Greenspector, spécialiste de l’éco-conception de logiciels. Il nous explique la place de son entreprise dans la mouvance du Green IT, qui cherche à réduire l’empreinte écologique, économique, et sociale du numérique.

NN : Pouvez-vous nous expliquer le concept de Green IT ?
TL : Le numérique a toujours été vu comme quelque chose de positif : amélioration de la productivité, limitation des tâches à faible valeur ajoutée… On a tendance à ignorer son impact environnemental et les problèmes corollaires au phénomène, comme la dépendance au numérique ou au contraire l’exclusion. Donc l’idée du Green IT est de dire que, dans le cadre d’une politique RSE, on peut également agir sur le numérique. En cassant les idées reçues autour du phénomène et en démontrant, par exemple, qu’il est parfois moins impactant d’imprimer un document que de le stocker numériquement et de passer toute une réunion dessus.
 
NN : Quelles étaient vos motivations à la création de la société ?
TL : Je suis dans le domaine du numérique depuis plus de 20 ans et la volonté initiale était de donner du sens à mon activité. J’ai eu envie que le projet professionnel rejoigne les motivations personnelles. J’ai travaillé dans de grands groupes, des sociétés de services et de conseil, où je n’ai pas vraiment réussi à le faire malgré quelques tentatives. Les thématiques RSE m’intéressent depuis très longtemps et au regard de mon expérience et de mes compétences, j’ai naturellement décidé de croiser numérique et développement durable.
L’idée était de proposer des actions concrètes et pas une simple couche de vernis comme ça peut être le cas avec la politique RSE de certains groupes. D’abord en mesurant l’impact, car sans mesure, il n’y a pas de leviers d’action. Puis en accompagnant les entreprises, en les aidant à trouver des leviers d’amélioration : au niveau économique, ce qu’elles recherchent de façon naturelle, mais également au niveau environnemental et humain.
 
NN : Vous sentiez que c’était le bon moment pour lancer une telle société ?
 TL : C’est toujours difficile de dire si le moment est bon. Il faut surtout avoir une bonne idée pour ensuite l’exécuter. Après il est vrai que l’on parle de plus en plus de RSE, avec des modèles économiques qui commencent à faire sens et à générer de vrais retours financiers. Mais je ne me suis pas concentré sur le moment. C’était plus une question d’envie qu’un calcul.
 
NN : Pourquoi avoir choisi de se concentrer sur le logiciel ?
TL : Je me suis rendu compte que le logiciel était le parent pauvre dans cette logique Green IT. Il y a beaucoup de travail sur l’optimisation du matériel, les data centers, les nouveaux appareils moins gourmands en énergie, l’urbanisation des salles machines, etc… Les marques s’assurent que les évolutions technologiques permettent une consommation moindre, ce qui est aussi une façon de continuer à vendre, mais peu de gens s’intéressent au logiciel. Car un logiciel ne s’use pas, il ne se branche pas sur une prise électrique, il ne se jette pas. C’est un produit particulier, immatériel mais qui est un facteur d’obsolescence du matériel, qui demande des ressources : machines, trafic réseau, mémoire…
 
NN : Vous vous êtes donc intéressé à la consommation de ces logiciels…
TL : Intuitivement nous savions que la façon dont le développeur codait une fonctionnalité avait un impact sur sa consommation de ressources. Dans le cadre du projet code vert, mené avec l’ICAM de Nantes, Sigma Informatique et Tocéa, et qui a duré un peu moins de trois ans, nous avons mesuré différentes façons de faire pour isoler les bonnes et les mauvaises pratiques. Nous avons constitué un référentiel des pratiques qui permettaient de réaliser des économies : de mémoire, de CPU, d’octets échangés et au final de ressources énergétiques.
 
NN : Comment intervenez-vous concrètement auprès de vos clients ?
TL : Nous avons mis notre référentiel dans une boîte intelligente qui détecte les mauvaises pratiques et en propose de nouvelles. Nous installons ensuite notre solution dans des outils déjà existants, avec des plugins qui s’intègrent à l’environnement de développement classique.
Ce que l’on vend, c’est un outil qui va accompagner la démarche du développeur au fil de l’eau, depuis le moment initial de la conception de son code. Car plus on intervient tôt dans le processus, moins cela coûte cher. Si vous découvrez une mauvaise pratique trop tardivement, vous ne changez pas le code et à la place vous rajoutez une machine, de la ressource. Avec notre solution, vous apprenez à vos développeurs, qui acquièrent les bons réflexes.
 
NN : Quelles sont les sociétés qui font appel à vous, pour quelles raisons ?
TL : Nos clients sont plutôt des grands comptes. Avec beaucoup de logiciels développés en interne et une utilisation de ces logiciels à grande échelle. Typiquement les banques, les assurances et les entreprises de télécommunications.
Généralement l’éco-conception de logiciels s’intègre dans une politique RSE globale qui adresse tous les services de l’entreprise. Mais l’enjeu n’est pas uniquement RSE, il est également industriel. En réduisant la consommation de vos applications de 30 ou 40%, vous pouvez in fine faire des économies de plusieurs milliers voire millions de KE, en fonction de votre consommation. L’éco-conception de logiciels, par les économies d’énergie qu’elle permet aide également à développer des produits plus performants. Je pense aux fabricants de Smartphones pour qui l’autonomie est le critère de vente numéro 1 et qui peuvent l’améliorer sensiblement en travaillant sur le code.
 
NN : Est-ce un produit facile à vendre?
TL : Il faut généralement une phase de sensibilisation, d’explications. Les clients potentiels sont généralement curieux, mais ils ont besoin qu’on leur montre les gains possibles.
Notre démarche est innovante dans ce monde du numérique ou l’on dépense sans compter. On voit que ça coûte cher mais on a l’impression qu’on n’y peut rien. Nous essayons de leur démontrer que ce n’est pas une fatalité.
 
NN : Vous pensez que l’avenir du Green IT est dans le logiciel ?
TL : Aujourd’hui la tendance est à la miniaturisation du matériel et à l’augmentation de l’intelligence embarquée. Nous proposons une économie de fonctionnalités à la source de cette intelligence et cela va nous ouvrir beaucoup de portes dans les entreprises.
Car souvent le discours Green IT sur le matériel, c’est : « acheter mon nouveau produit, il consomme moins que le précédent ». Ce qui est incohérent avec une démarche RSE, car on voit bien que l’impact se situe dans les phases de fabrication et de fin de vie du produit et pas dans son utilisation. Le vendeur de matériel a certes des arguments de progrès technologiques à faire valoir mais, à mon avis, ce n’est pas prendre le problème par le bon bout.
 
NN : Quels sont les projets en cours chez Greenspector ?
TL : Nous avons nos premiers retours clients et nous faisons évoluer le produit pour répondre aux besoins. Nous développons des fonctionnalités d’intégration, nous cherchons à augmenter le nombre de règles dans notre référentiel pour apporter de la valeur aux développeurs et améliorer la pertinence de l’outil.
A côté de ça, nous étions 7 salariés en 2015 et nous seront le double d’ici la fin du premier semestre 2016. Nous avons l’ambition d’avoir une bonne dizaine de références d’ici 2017, principalement en France mais aussi sur des comptes internationaux.
Il y a des efforts menés sur le commercial et le marketing, mais c’est surtout sur la R&D que nous mettons nos moyens.
 
Propos recueillis par David Rozec, drozec@nomination.fr

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